Le portrait de
Melvin, 24 ans,
travailleur en Esat

Dans un couloir de l’ESAT* Les Glycines, avec Isabelle Bartos, directrice adjointe, nous croisons Melvin. Ce dernier passe en coup de vent pour rejoindre son atelier. Isabelle se tourne vers moi pour me dire : “ce garçon il est génial, hyper investi et très talentueux”. La fierté de la professionnelle à l’égard du jeune travailleur se fait ressentir.

Plus tard dans la journée, assise à mon bureau, je repense à cette scène et me dis : “avec 2 000 personnes accompagnées et 1 500 professionnels c’est évident que des histoires pépites il doit y en avoir beaucoup à l’Unapei Alpes Provence”. Nous imaginons alors la rubrique Le portrait de, pour vous faire découvrir ceux qui font l’association. Pour cette première, c’est le portrait de Melvin, jeune travailleur en ESAT, que je vous retranscris.

6 février 2023, 09h, je me rends aux Glycines pour l’interviewer et rapidement notre entrevue devient un chaleureux échange autour d’un café !

À l’origine c’est dans le secteur animalier que Melvin voulait travailler, pourquoi pas en tant que soigneur ! Ça lui est venu un peu comme ça. Mais ce milieu, qu’il imaginait assez familial, lui est finalement apparu, après un stage à Pastré, assez fermé.

Son cycle à l’IME* Les Marronniers arrivant à sa fin, il doit trouver une suite à son parcours. Ça ne sera pas dans le monde animalier. En 2018, on lui propose d’intégrer un ESAT. À cet instant, Melvin ne sait pas exactement de quoi il s’agit, mais il ne se pose pas de questions, il fait confiance. Il rejoint, à Aubagne, l’ESAT Les Glycines de l’Unapei Alpes Provence. Il me confie “Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour m’adapter”.

Au départ c’est l’atelier conditionnement qui l’intéressait, mais on lui propose de s’essayer au façonnage. C’est alors une révélation pour Melvin “j’ai un attachement très fort pour cet atelier et surtout pour les travailleurs”. Quand il parle de ses collègues il dit “mes coéquipiers”. Très vite je saisis la bienveillance qu’il a pour eux. Il s’est investi d’un rôle, celui du grand frère “j’essaye d’être le plus présent pour mes coéquipiers, s’ils ont un problème ils savent qu’ils peuvent venir me parler”, pas étonnant de sa part lui qui est proche de sa famille et de ses deux petites soeurs. Puis en 2022, une nouvelle activité voit le jour aux Glycines. Un traiteur, Esprit Méditerranée, investit un local de l’ESAT avec en contrepartie l’engagement de professionnaliser l’activité avec la mise en place de formation pour les travailleurs en situation de handicap mental et l’appui au développement de la marque traiteur de l’ESAT. On propose alors à Melvin de rejoindre cette unité. À cause d’une mauvaise expérience en atelier cuisine au collège, Melvin n’était pas convaincu par cette proposition. Mais finalement il y prend goût. Certains travailleurs de l’ESAT, dont Melvin, sont d’ailleurs allés s’exercer chez le traiteur avant même le déménagement officiel. Pour eux c’est une nouvelle aventure. Ils y font tout : entretien des plans de travail, connaissance des recettes, découpage des aliments, confection des plats, service pendant les événements.

Quand je lui demande s’il se sent bien à l’ESAT, il me répond que oui c’est agréable, il a ses repères, il s’entend bien avec tout le monde, ses coéquipiers et aussi les moniteurs qui sont tolérants : “ici tu t’accroches à 08h, à 10h tu bois quand même le café ensemble”. Il ajoute, que parfois, il s’autorise à rêver et s’imagine un jour moniteur d’atelier, mais il craint qu’on le prenne pour un fou. Je lui demande s’il envisage de bénéficier du dispositif DEA*. Mais il est très clair à ce sujet, la réponse est non. Et rapidement la conversation se poursuit sur l’intégration des personnes en situation de handicap mental en milieu ordinaire.

Je comprends vite que Melvin sent un désintérêt de la part du monde ordinaire, voir même un rejet. Il trouve que les personnes en situation de handicap mental n’arrivent pas à s’imposer dans ce monde : “J’ai un ami en situation de handicap, il a réussi à avoir un diplôme et aujourd’hui il travaille dans une entreprise ordinaire, et bien il n’a pas la même “place” que ses collègues, il a plus de mal à s’imposer qu’une personne dite ordinaire […] Alors intégrer une entreprise ordinaire je ne veux pas […] en plus je ne sais pas pourquoi, mais les personnes ordinaires trouvent toujours nos logiques illogiques”.

Il trouve injuste qu’on les invisibilise autant “notre monde il est mis de côté”, même s’il souligne qu’en France “nous sommes mieux placés que dans certains pays”. Il argumente ses propos d’exemples concrets : “Sur 3h d’un débat politique, seulement 3 minutes sont accordées au handicap, est-ce que c’est normal ? Sur l’ensemble de la population française qui sait ce qu’est un ESAT ? La diffusion du sport adapté c’est juste pendant les JO alors que des compétitions il y en a toute l’année, pourquoi ?”

“Tout cela me vexe car j’ai conscience de tout ça ! et ce que je ressens c’est que le monde ordinaire s’en fout. Ça me révolte je trouve cela injuste !” Et pourtant Melvin affirme que dans le monde du handicap il y a des talents cachés.

Il a piqué ma curiosité. Je lui demande alors si lui aussi en a un de talent caché. Avec pudeur il m’explique qu’il fait de la musique, même si aujourd’hui cela est moins fréquent. Il compose, il écrit, il chante, et a même déjà enregistré en studio. Naïvement je pense que chanter doit lui faire du bien, que c’est une forme d’exutoire. Il trouve cela plus complexe ” Si chanter permet d’évacuer sur le moment, quand tu réécoutes ton son, bah ça te replonge à nouveau dans tes émotions négatives… “. ” Nan maintenant moi c’est plus le foot ” me lance-t-il. Je comprends alors que sur le terrain il peut vraiment se décharger. Il joue au foot adapté et ses connaissances du sujet sont assez techniques. Je dois d’ailleurs l’avouer, à cet instant il me perd un peu. Néanmoins je retiens une chose, c’est que foot adapté ou foot ordinaire, peu importe, les passionnés rêvent tous d’une coupe de France.

 

Lucile Bouillot,
responsable du service communication

|    Le mot de Maxence,
Moniteur de l’atelier traiteur à l’ESAT Les Glycines

“La 1ère clef quand on est moniteur avec ce public est de leur donner confiance en eux. Une fois qu’on les a rassurés on peut vraiment avoir de beaux succès, avec les plus investis par exemple on peut monter une brigade. Et aujourd’hui, ils sont de plus en plus autonomes, alors on les emmène sur les événements, dont Melvin qui a bien progressé, et les clients ne savent pas forcément qu’ils sont en situation de handicap, parfois on leur dit après, mais le but c’est de les inclure en soulignant leur travail et non leur handicap. Mais moi ce qui me touche le plus c’est quand certains me disent qu’ils refont les recettes chez eux, alors là j’ai tout gagné.”

|    Le mot d’Isabelle Bartos,
Directrice Adjointe de l’ESAT Les Glycines

“Le regard de Melvin sur le monde ordinaire est assez critique, mais justifié par sa propre expérience. Il persiste des appréhensions pour certaines personnes en situation de handicap de passer le cap vers le monde de l’entreprise. Aussi c’est à nous, professionnels, d’oeuvrer pour l’inclusion des personnes que nous accompagnons. Nous devons provoquer les rencontres entre ces mondes, aider les personnes en situation de handicap à se projeter dans des « lieux dits ordinaires », et sensibiliser la population, les entreprises à l’inclusion. D’ailleurs c’est aussi au monde ordinaire de s’adapter pour recevoir ce public. C’est donc une double transformation, mais je suis confiante, l’inclusion est un phénomène sociétal qui prend de plus en plus d’ampleur.”

*ESAT = Établissement et service d’aide par le travail. Structure qui permet aux personnes en situation de handicap d’exercer une activité professionnelle tout en bénéficiant d’un soutien médico-social et éducatif dans un milieu protégé.
* IME Les Maroniers = Institut Médico Educatif. L’établissement Les Maroniers, indépendant de l’Unapei Alpes Provence, accueille en semi-internat, 55 adolescents et jeunes adultes (12 à 20 ans).
*DEA = Dispositif d’emploi accompagné. Ce dispositif comporte un accompagnement médico-social et un soutien à l’insertion professionnelle pour accéder au marché du travail du milieu ordinaire.